– Papa, autrefois, je me reprochais de changer souvent d'idées; aujourd'hui, je me rends compte que c'est inévitable.
– Tu as raison, mon fils. Le plus difficile dans une discussion, ce n'est pas de défendre une opinion, c'est d'en avoir une.
– Et une seule !
– Oui, car nous avons tous plusieurs personnes en nous. Seul l'imbécile croit qu'il est l'unique habitant de sa maison.
– Comment s'y prend-il ?
– Il a baillonné plusieurs parts de lui et les a verrouillées dans des placards. Du coup, il pérore clairement, d'une voix singulière.
– C'est enviable, non ?
– C'est toujours enviable d'être un crétin.
…
– Oui, fils, nous souhaiterions débiter un discours simple, ferme, définitif, qui nous persuaderait de servir la vérité en tranches. Or plus l'on progresse en intelligence, plus on perd cette ambition; on dévoile ses complexités, on assume ses tensions.
– J'aimerais ne pas me contredire.
– C'est pourtant à cela qu'on reconnaît le crétin, il ne se contredit jamais. Pourquoi traite-t-on de cloches les imbéciles ? Parce que la cloche ne donne qu'un son.
(extrait de Eric-Emmanuel Schmitt – Ulysse from Bagdad)
J'aime ce texte. Il me fait plaisir. Forcément. Parce que souvent, je n'ai pas d'opinion à émettre dans une conversation, un débat. Simplement parce que soit je ne sais pas de quoi on parle (j'ai toujours été assez nulle pour suivre l'actualité et si je sais de quoi on parle, je ne maîtrise jamais les tenants et les aboutissants), soit j'ai plusieurs opinions généralement contradictoires, en fonction du point de vue où je me place. Donc, je me tais et passe pour quelqu'un qui n'a pas d'opinion.
Alors forcément, ça me plait de lire ces quelques lignes qui me font penser que je peux me ranger du côté des non imbéciles, des non crétines. Sachant que je me range toujours malgré tout du côté des non informées, des non renseignées.
En silence, je pense et je suis la conversation.


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