Un jour de grisaille familiale pendant les vacances (une autre couleur, moins idyllique, des vacances), une des filles a exprimé son ras-le-bol du moment par un peu de fiel filial:
– C'est la toute dernière fois que je pars en vacances avec vous !!
Surtout ne pas réagir, surtout ne rien dire, ne pas prendre la flèche qui m'est décochée. Ruminer toute la journée, en cachette. Ne rien dire, ne rien dire, ruminer, faire bouillir le fiel à petit feu. En fin de journée, le chaudron est plein. Une goutte, une seule, une de trop, déborde:
– Et bien, je suis ravie que tu ne viennes plus avec nous en vacances !!
Ah, non mais.
A peine la goutte versée que je ne sais comment la ravaler.
Je ne voulais pas montrer que la flèche avait atteint son but. Mais pourquoi suis-je aussi vulnérable sur ce plan ? A 19 et 20 ans, il est plus que normal que les enfants souhaitent quitter le nid, couper le cordon. Et en bonne maman oiseau, je devrai les pousser hors du nid. Ma tête a bien compris, mon coeur ne veut rien entendre.
Essayez de comprendre. Depuis que j'ai 15 ans, j'ai construit mentalement mon image spinalienne du bonheur, celle d'une famille heureuse avec plein d'enfants autour d'une grande table, plein de rires, de disputes, de discussions, d'amour. Et j'ai eu la chance incroyable de vivre cette belle histoire jusqu'ici. Plus de trente ans plus tard, je dois revoir le plan de table, les réservations de vacances et les menus.
Oh, pas tout de suite, mais je dois me préparer, prévoir. Je fais partie de ces gens incapables de se laisser porter, de vivre au jour le jour. Je dois anticiper. Alors forcément, il y a là un petit passage difficile. J'ai pourtant de jolies images de retraite à deux ou de maison avec jardin et plein de petits enfants rigolos. Mais il faut d'abord que je ferme l'album précédent. Et je ne suis pas bien prête. Et aussi, je n'ai plus la même maîtrise de l'appareil photo.
A ceux toutefois qui me regardent comme une bête rare – "Quoi, vos enfants partent encooore avec vous en vacances ?" – , je m'excuse presque d'un petit sourire gêné, comme si la situation était totalement anormale. Mais je pense en mon for intérieur que moi, je passe encore au moins une semaine de mes vacances annuelles avec mes parents, simplement parce que j'y prends énormément de plaisir. Alors, quoi ?

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